Les gnous du Serengheti terminent leur transhumance. Ils auraient subi quelques pertes dans les magasins en claquant leurs cartes Visa ou Mastercard à acheter des cadeaux pour ceux qui n'auront pas fait le voyage. D'autres, moins prudents, auront perdu, un portefeuille volé à la hâte par des Roumaines. Elles montent et elles descendent l'avenue en scandant des : « Do you speak English? » Traduction littérale dans leur tête : « j'adore votre portefeuille ». Les pickpockets ne manquent pas.
La nuit tombe tendrement. Les touristes ayant trainé toute la journée ont le pas lourd. Les sacs au dos pèsent dans les épaules. Les baskets Nike raclent les trottoirs. Les derniers gnous s'enfoncent dans les bouches de métro laissant la place à une autre vague d'animaux de la nuit. Les lions, les tigres et les léopards prennent position. Les grandes villes prennent des allures de jungle à la nuit tombée.
Nous sommes samedi soir. La banlieue débarque sans vraiment débarquer. Elle y est en permanence aux Champs Elysées. Des filles en talons aiguilles et en minis jupes circulent sur leur trente-et-un. Heureuses et souriantes, elles commencent la soirée.
Les voitures immatriculées, neuf trois, ronflent. La musique bat son train, le RNB les décibels au maximum.
Toutes dents dehors les occupants narguent les filles. Ils espèrent une conquête sans vraiment leur montrer du respect.
On fait la queue au Montecristo (bar). Les serveurs rentrent les dernières chaises et les tables ou des touristes ont déjeuné devant un flot de personnes se bousculant sur le trottoir.
Pour ceux que l'argent fait défaut, le Monoprix est ouvert jusqu'à minuit. Bières et bouteilles de vin défilent sur le tapis des caissières désabusées et fatiguées. Elles ne souhaitent qu'une chose que l'établissement baisse les rideaux. Ceux-là, on les retrouve assis sur des bancs à discuter toute la soirée.
La police les surveille de près et quand les bagarres se déclenchent, elle est toujours là. Il parait que c'est l'avenue la plus surveillée au monde.
Le clochard mondain est toujours là. Je l'ai vu même avec un portable. Décidément, dans le huitième arrondissement nous n'avons pas les mêmes valeurs. Je me demande ce qu'il fait avec ce portable. Suis-je bête. Un confrère du seizième arrondissement surement pour voir si les affaires sont meilleures là-bas.
Le côté pair n'a pas échappé à la folie des rénovations. H&M s'y est installé récemment et on rénove en permanence les galeries. À voir les travaux pharaoniques, on se demande si nous sommes en crise. Le Lido ouvre ses portes. Des autobus déversent des spectateurs venus admirer les seins de Paris cachés par des projecteurs, des plumes et des paillettes. Lieu incontournable pour touristes.
La programmation des boites nuits m'a toujours fait rire. Les soirées se réclamant du samedi commencent le dimanche matin.
Le Queen, la seule boite de nuit donnant directement sur les Champs. Des DJ's mondialement reconnus y passent : Carl Cox, Roger Sanchez, David Guetta, Deep Dish, Junior Vasquez, Bob Sinclar, Tiesto, Antoine Clamaran, Sasha, Erick Morillo ainsi que Paul Van Dyk.
A l'affiche Antoine Claraman. Ce n'était pas prévu au programme, mais je m'engouffre là dedans. Tony Gomez s'y est installé et règne en maître. Un costume Dior (enfin j'imagine),des cheveux grisonnants, des chaussures pointues , le sourire aux lèvres, il monte et descend les escaliers. Il reçoit ses invités VIP.
Le physionomiste trie à tire-larigot. Combien de personnes. Toi, oui. Toi, non. Désolé cela ne va pas être possible. Circulez s'il vous plaît. Une tête inconnue, des chaussures mal cirées, des vêtements inappropriés sont des éléments suffisants pour se faire recaler. L'établissement a le droit de réserve sur les gnous. C'est comme cela partout en Paris.
Une blonde me lape mes vingt euros et me remet un ticket. Il est précisé sans consommation. Les FDS (les fauchés du samedi) auront le gosier sec ce soir. Un videur black peu souriant et pas du tout disposé à faire la conversation gère la fluidité de la foule qui fait la queue au vestiaire.
Une boite de nuit sans son videur black n'est pas une boite de nuit, à ma triste constatation.
Sur la piste Passy se défoule. Le carré. Que dis-je? Le rectangle VIP, ouvert sur la foule, déborde de Charles Henri, de Pierre, de Marie Chantal mélangés à un Mohammed, ici et là, un Mamadou ici et là.
Bref, une foule très peu métissée ou des bouteilles de Grey Goose (vodka) et de Moet & Chandon indiquent l'espace d'une nuit que les consommateurs ne sont pas n'importe qui. Lundi matin au réveil ils seront n'importe qui pourtant. Surtout en faisant les comptes des petits reçus de carte bancaire.
Je commande une coupe de champagne. Une jeune serveuse black souriante du nom de Nadia (je lui ai demandé son joli prénom) me sert. Quinze euros. Est-ce cher tout ceci ? Mais nous ne sommes pas en crise.
Lorsque je tourne la tête, les gnous de l'après-midi avaient envahi les lieux. Ceinture Hermès. Jeans Dolce & Gabanna, Gucci, Prada.
La jeunesse dorée s'amuse. L'ambiance est particulière on dirait que tout le monde connait tout le monde et que tout le monde adore tout le monde. Vaste hypocrisie du monde de la nuit.
De jeunes filles maquillées à outrance et à l'allure un peu suspecte clignent des yeux aux hommes à qui de toute évidence l'argent ne fait point défaut. Je remarque un black avec une casquette. On le salue. On l'embrasse. Il est connu. Telles des abeilles, elles virevoltent autour de lui.
Le charme exotique, la valeur sure du samedi soir. Antoine Claraman déchaine la foule sans vraiment se défouler sur sa platine
Je teste une Vodka Red Bull. Tenez-vous bien dix-sept euros. Le Red Bull donne des ailes. Il faut bien deux euros de plus pour voler complètement. À ce prix-là, on ne peut pas trop se permettre la gueule de bois. Et pourtant si. Certains ressortent titubants de ce genre d'établissement.
La foule se déchaine toujours. Je fais un tour dans les toilettes. Exiguës et bien entendu pas trop propre. La ruse. On n'y passe pas son temps quand ce n'est pas propre.
Quand je ressors, la foule est en délire. Mais, qu'ont –ils tous ? Je ne suis toujours pas convaincu de toute cette frénésie. Rien de nouveau à vrai dire.
Le même son est partout dans Paris. Les deux bars sont toujours courtisés. Les escaliers servent de banc. On y essuie les vêtements de l'avenue Montaigne. Deux danseuses apparaissent piétinant la scène en vitre qui surplombe le DJ qui s'il ne fut pas occupé aurait eu la meilleure vue de toute la soirée.
Je croise un photographe qui ne prend pas de photos. Peut-on lui en vouloir ? Y a-t-il vraiment quelque chose à photographier ?
Quand je sors de cet endroit convoité à savoir pourquoi. Les Champs Elysées encore du monde, toujours du monde, du coté pair comme du coté impair, elle reste toujours la plus belle avenue au monde.( Dominique Lancastre)
(Publié le 2 avril 2011 Copyright@dominique.lancastre)
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